Les organisations internationales, de vieilles dames à bout de souffle?

Les organisations internationales : de vieilles dames à bout de souffle?, écrit avec Mariel Gansou, Banque & Stratégie n°295, septembre 2011.

Les organisations internationales ne sont pas qu’une composante essentielle du droit international : depuis leur fondation au sortir de la Seconde Guerre mondiale, elles ont accompagné la mondialisation et ont joué un rôle prépondérant dans la régulation et la structuration des économies contemporaines.

L’expression « organisation internationale » doit désigner, dans un sens strict, des mécanismes interétatiques de droit international public, spécialisés ou non, et encadrant la communauté internationale, globalement ou dans des domaines précis. Il convient donc à ce titre de considérer qu’en raison de leur vocation économique, les Nations unies (et en particulier le Programme des Nations unies pour le développement), les institutions de Bretton Woods ­(le Groupe de la Banque Mondiale et le Fonds monétaire international, FMI), la BRI, l’OCDE et l’OMC [1], ainsi que les organisations régionales (BAfD, BAD, BIAD, BID [2]) en sont les principaux acteurs, en œuvrant en faveur du développement social et économique.

À l’heure où le développement se veut plus durable, il nous paraît intéressant de discuter du bilan des organisations internationales à caractère économique en tenant compte de ce prisme de lecture.

Réformer les institutions financières internationales ?

Les institutions de Bretton Woods en particulier sont sous le feu de critiques venant de divers horizons et qui contestent leurs orientations et leurs méthodes de travail : d’aucuns voudraient une refonte complète des institutions, la réduction de leur rôle et de leur mandat, tandis que d’autres économistes, tels que Joseph Stiglitz [3], contestent moins les attributions des institutions que leurs orientations et leur doctrine.

Cette volonté d’évaluer n’est pourtant pas nouvelle. Sur le plan international, les États-Unis ont exercé jusqu’à récemment une forte influence par défaut sur la définition de la future architecture institutionnelle internationale : les deux propositions qui ont fait débat jusqu’à aujourd’hui sont celle du rapport en 2000 de la Commission Meltzer, commandité par le Congrès, s’opposant à celle du Trésor américain [4].

La Commission Meltzer suggère de recentrer les activités du FMI sur le rôle de prêteur en dernier ressort, sur la base de prêts à court terme et à taux d’intérêt élevé, réservés aux pays qui remplissent quatre conditions :
– une grande présence des banques étrangères, justifiée comme un transfert de technologie financière et une assurance contre les prêts douteux ;
– une information précise des marchés sur l’état de la dette du pays ;
– un niveau de capitalisation adéquat des banques locales ;
– des politiques budgétaires saines qui ne gaspillent pas l’aide internationale.

La Banque Mondiale devrait décentraliser son action au profit des banques régionales de développement, sauf en Afrique où, selon la Commission Meltzer,  le mauvais état de la BAfD nécessiterait de prendre les choses en main. Elle ne devrait y jouer aucun rôle en cas de crise financière.

Le Trésor américain propose, lui, la répartition des tâches : un FMI qui poursuit l’ajustement structurel à court et moyen terme et joue le rôle de coordination des réponses aux crises financières, notamment en négociant l’implication des acteurs privés dans le partage du fardeau financier, et lâche, à terme, les questions de pauvreté à la Banque Mondiale. Toujours selon le Trésor américain, celle-ci doit mettre en œuvre une plus grande sélectivité, ce que l’on peut traduire par le fait qu’elle gère les aspects politiques des réformes ; elle doit aussi bénéficier de plus de ressources concessionnelles [5], promouvoir les infrastructures de base et accroître son rôle dans la fourniture de biens publics mondiaux.

En France, le principe d’un rapport annuel devant le Parlement – estimant être insuffisamment informé – a été mis en place. Le Sénat s’est pourtant saisi de la question sous son aspect budgétaire, et le rapport d’information de mars 2011 [6] estimait à un peu moins d’un milliard d’euros [7] le montant des contributions obligatoires de la France au Programme 105 [8]. Le rapport estime que « s’il est normal que la France paye pour le multilatéralisme, elle ne devrait payer que sa juste part du fardeau commun ».

Une conditionnalité qui évolue

Le débat sur l’efficacité des organisations internationales a souvent porté sur la conditionnalité de l’aide, c’est-à-dire sur le lien entre l’apport financier et la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel, au titre notamment de la Facilité d’ajustement structurel (FAS), de la Facilité d’ajustement structurel renforcé (FASR) et des Crédits d’ajustement structurel (CAS). On peut en être surpris aujourd’hui, tant elle paraît intimement liée aux interventions du FMI et de la Banque Mondiale, mais la conditionnalité n’est pas inscrite dans leurs statuts fondateurs. Depuis la crise de l’endettement des pays en développement, au début des années 1980, le FMI et la Banque Mondiale ont développé et renforcé progressivement les conditionnalités liées à l’octroi de leurs crédits. C’est précisément leur pertinence et leur efficacité qui sont, avec le mode gestion des organisations, l’objet du débat actuel sur la réforme des institutions de Bretton Woods [9].

Avec la crise de l’endettement des pays en développement au début des années 1980, le rôle dévolu aux institutions internationales a évolué, amenant le FMI et la Banque Mondiale à formaliser progressivement les réformes structurelles sous le « consensus de Washington », à développer et à renforcer la conditionnalité liée à l’octroi de leurs crédits. À partir de 1969, l’objet de la conditionnalité est transformé : d’un moyen d’assurer le remboursement des tirages, elle devient un outil permettant de mettre en place des règles de bonne conduite économique.

Des débats étroitement liées à l’efficacité de l’aide

Quoi qu’on en dise, les institutions financières internationales, et celles de Bretton Woods en tête, ont permis depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale d’instaurer globalement une stabilité politique et économique propice au développement. Elles sont nées d’une double préoccupation : ne pas voir se répéter les crises monétaires des années trente et la chute des échanges mondiaux qui en a découlé – rôle dévolu au FMI – et reconstruire l’Europe – pour la Banque Mondiale. Le FMI, lors de sa création, a été conçu comme un pool centralisé de liquidités destinées à aider les pays victimes de problèmes temporaires de balance des paiements. Ces organisations ont connu des succès et ne devraient pas avoir à rougir de leurs résultats. Tandis que la Banque Mondiale prenait principalement part à l’aide à la reconstruction, le FMI a pour sa part contribué à assurer la stabilité des changes.

Certaines expériences furent positives [10], beaucoup demeurent largement insuffisantes, voire des échecs. Les responsabilités sont partagées. La notion de conditionnalité a vu son champ d’action passer du purement économique à des domaines de plus en plus nombreux et de plus en plus généraux (environnement, questions sociales, corruption…). Des études (Dollar et Burnside, 1997 [11] et Collier et Dollar, 1999 [12]) tendent à montrer qu’une allocation de l’aide vers les pays qui sont le plus disposés à conduire des réformes et à mettre en œuvre de « bonnes politiques » est beaucoup plus efficace pour lutter contre la pauvreté.

Le débat reprend tout son sens aujourd’hui, eu égard à la crise de la dette souveraine que nombre d’États affrontent aujourd’hui. La donne a changé et les États-Unis ont perdu leur AAA. Si les controverses sont nombreuses sur le sérieux des agences de notation et leur méthodologie d’évaluation – avec en point de mire leur rôle procyclique –, il faut reconnaître qu’elles ont mis – enfin ? – le doigt là où cela fait mal et introduit la menace de sanction aux pays endettés comme les États-Unis. On peut légitiment s’interroger sur le rôle des institutions qui consacrent, bon an mal an, des centaines d’études aux pays membres, avec l’ambition de maîtriser les risques systémiques. On voudrait aujourd’hui créer une agence de notation internationale à vocation souveraine : les organisations internationales ne le font-elles pas déjà de facto ?

Pointée du doigt par les économistes, la situation des États-Unis au regard de leur endettement colossal a un coût pour les pays émergents. Si les travaux de Carmen Reinhart et de l’ancien économiste en chef du FMI Kenneth Rogoff ont été largement discutés, ils posent la nécessaire question du lien entre dette et croissance. Quant aux économistes du FMI Emre Alper et Lorenzo Forni [13], ils ont récemment montré que, pour les pays émergents, « an increase in the public debt level so large advanced economies – especially the United States – spills over to both emerging markets and other advanced economies’ long-term real yields and that this effect is significant at the current levels of advanced economies’ » [14].

Vers un rééquilibrage de la gouvernance ?

Mais si ces succès sont parfois occultés, c’est sans doute aussi en raison des critiques souvent fondées de manque de transparence, de déficit démocratique et de représentativité, dues à une désignation censitaire. Le renouvellement des instances dirigeantes du FMI en 2011 dernier et le remplacement d’un directeur général français par madame Christine Lagarde a été l’occasion  pour les pays sous-représentés de clamer la nécessité d’un rééquilibrage des quotes-parts, mais aussi celle d’un changement de perspective sur la conditionnalité des prêts et la meilleure évaluation des politiques publiques.

Le troisième millénaire a vu s’élever les voix d’un nouveau groupe de pays – les BRICS [15]– pour exiger leur place autour de la table de la gouvernance économique mondiale. Les négociations dans le cadre du Cycle de Doha comme l’on sait s’en sont trouvées fortement bouleversées, l’ancien modus operandi ne fonctionnant plus, et ce malgré les efforts de son directeur général, Pascal Lamy.

La désignation d’un économiste chinois, Zhu Min, comme adjoint de la nouvelle directrice générale du FMI est un pas dans ce sens. David Lipton, un Américain, a succédé à John Lipsky – dont le mandat est arrivé à terme le 31 août 2011 – comme premier directeur général adjoint.

Si elles ont évolué depuis leurs débuts, ces vieilles dames donnent parfois le sentiment d’être à bout de souffle. Keynes lui-même, dans le cadre du panel dont il avait la charge, relevait que lors de la mise en place des institutions de Bretton Woods, les salles étaient bondées et que les interlocuteurs avaient du mal à converser. Certains étaient même particulièrement silencieux, comme la Russie. Seuls quelques pays en développement étaient alors représentés. Si elles étaient d’ores et déjà perfectibles à leur fondation, puissent-elles opérer cette mue, car il ne fait aucun doute qu’elles demeurent essentielles.

[1] Banque des Règlements Internationaux (BRI), Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), Organisation mondiale du commerce (OMC).

[2] Banque Africaine de Développement (BAfD), Banque Asiatique de Développement (BAD), Banque Interaméricaine de Développement (BIAD), Banque Islamique de Développement (BID)

[3] Ancien économiste en chef de la Banque Mondiale et prix Nobel d’économie en 2001.

[4] Voir le discours de Lawrence Summers sur le site : http://www.imf.org/external/spring/2000/imfc/usa.htm.

[5] Par ressources concessionnelles, on entend les crédits accordés par l’Association internationale de développement, institution membre du Groupe de la Banque Mondiale, crédits ne portant pas intérêt et assortis de longs différés d’amortissement et délais de remboursement.

[6] Rapport d’information d’Adrien Gouteyron fait au nom de la Commission des finances du Sénat sur les contributions financières de la France aux organisations internationales (http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-390-notice.html).

[7] Exactement 882,9 millions d’euros.

[8] Contributions affectées dans la logique budgétaire nationale au Programme 105 (Action de la France en Europe et dans le monde) et au Programme 110, par lequel sont comptabilisés les versements au Fonds monétaire international et à la Banque Mondiale.

[9] C. Chavagneux et L. Tubiana (2000), « Quel avenir pour les institutions de Bretton Woods ? Les transformations de la conditionnalité », in F. Bourguignon, C. Chavagneux et L. Tubiana, Développement, Les rapports du Conseil d’analyse économique, n° 25.

[10] Nous avons montré que le plan d’ajustement structurel en Tunisie avait un bilan positif sur la période 1986-1995, voir Brack E. (1997), « La Tunisie entre ajustement et intégration », thèse de doctorat (https://estellebrack.files.wordpress.com/2009/10/1997_brack_these-doctorat.pdf).

[11] « Aid, Policies and Growth », Policy Research Working Paper n° 569252, Banque Mondiale.

[12] « Aid allocation and poverty reduction » Policy Research Working Paper Series 2041, Banque Mondiale.

[13] « Public Debt in Advanced Economies and its Spillover Effects on Long-term Yields », FMI, Working Paper 11/210, août 2011.

[14] « Une hausse du niveau d’endettement public des économies développées, en particulier des États-Unis, se répercute sur les rendements réels à long terme des marchés émergents mais aussi des autres marchés développés. Cet effet est significatif, étant donné les niveaux actuels des ratios d’endettement des économies développées. », NDLR.

[15] Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud.

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