Du contexte – Et la Terre est devenue plate

Connaître le contexte local est primordial – bien évidemment – pour les phases de diagnostic de l’existant, du cadrage, de la mise en oeuvre et l’évaluation d’un projet. Chaque pays a ses spécificités multifactorielles – historiques, culturelles, géographiques, économiques – qui sont suffisamment nombreuses pour se combiner dans des possibilités infinies. On parle d’Europe ou d’Afrique au singulier pour un continent qui regorge de singularités à l’échelle d’un pays, d’une région, d’un département.

A l’heure de la mondialisation, une couche culturelle et économique a recouvert tout le globe – avec des produits et services accessibles à tous et partout, au coin de la rue comme derrière l’écran de son ordinateur ou de son téléphone – et la Terre est devenue plate (Thomas Friedman, « La Terre est plate – Comprendre la mondialisation », 2010). Dans « La terre est plate », Thomas Friedman montre comment les chaînes de production, les chaînes d’approvisionnement, sont segmentées en acteurs délocalisés, elles font travailler tous ensemble au même moment, un peu partout à travers le monde, des hommes et des femmes, pour fabriquer les mêmes produits. Les conséquences entraînées sont gigantesques, mais inéluctables. Elles concernent les manières de produire et de consommer, mais aussi de concevoir et de diffuser des idées.

Après cette vague de « mondialisation heureuse » comme certains ont pu la qualifier, comment ne pas voir la convergence de différents courants – très divers sur la forme, mais communs dans une volonté de rejet d’un colonialisme protéiforme? Un colonialisme des esprits comme celui de l’influence des pays occidentaux en Afrique, mais aussi du patriarcat. Dans tous les cas, une volonté commune de se réapproprier son corps et son esprit. Le rejet du modèle économique vu comme insatisfaisant à l’échelle de l’individu, qui ne se sent pas servi par cette mondialisation, et, au contraire, trop dépendant des fluctuations des prix des produits échangés sur la scène internationale – comme les intrants avec le prix de l’essence à la pompe ou les produits vendus comme le prix du blé, du lait, de la viande pour les agriculteurs lorsqu’ils sont vendus à des grands acteurs.

Alors, le retour d’intérêt pour la communauté à petite échelle – nous avions créé la première AMAP de Paris en 2012 – le retour à la Terre, mais aussi l’adhésion massive au discours politiques populistes qui s’adressent à l’individu à son échelle et qui ne raisonnent plus à l’échelle d’un Etat. Les discours politiques depuis dix ans font-ils autre chose qu’affirmer ce que veulent les « français »? (changer « français » par « américains », « allemands », ou toute autre nationalité ou groupes de personnes, ça marche aussi).

La mondialisation est étroitement corrélée avec le rejet du vertical pour de l’horizontal. Accélérée par la crise du Covid. Tout le monde à la même enseigne à l’échelle du Globe (on ne dira jamais à quel point nous avons atteint là le point paroxystique de la mondialisation) mais aussi tout le monde accessible via ce réseau mondial indifférencié qu’est internet.

Tout le monde est accessible – vous pouvez lire en direct sur les réseaux sociaux la dernière pensée de n’importe quel individu milliardaire et même lui écrire – alors que cette même personne est certainement dans une tour d’ivoire, inaccessible physiquement comme le sont beaucoup de personnes de pouvoir – qui sont en fait assez paranoïaques et peu réellement ouverts au reste du monde. Imprimer, mais ne pas être imprimés.

Internet (le réseau) et ses outils relais à l’échelle individuelle (le téléphone et l’ordinateur) permettent de fournir des services directement à l’utilisateur final, sans avoir besoin de se déplacer vers la boutique ou le bureau. C’est génial en un sens parce qu’il apporte un gain de temps, d’énergie à l’échelle de l’individu, de la sécurité aussi pour ce qui concerne la conservation de la monnaie par exemple. Il faut aussi prendre la mesure des enjeux. Créer un tel système financier interconnecté signifie aussi que le coffre-fort n’est plus une boîte dans une banque – il faut faire l’effort de se rendre sur place et de casser le coffre pour, au final, un butin limité aux richesses entreposées là à l’échelle d’une agence bancaire – mais un système à l’échelle planétaire – que l’on cherche à craquer depuis son ordinateur, avec un potentiel de gain à une échelle beaucoup plus grande.

C’est aussi, tel qu’il est construit, un système qui demande de démontrer patte blanche à celui qui veut entrer. Charge au candidat de faire la preuve qu’il est de confiance. Mais s’il ne peut pas apporter cette preuve, il ne peut pas entrer. Un peu comme à la porte d’une boîte en ville. Le physionomiste ne fera pas entrer les mêmes clients dans une boîte sélect que dans une boîte en rase campagne. En Angola où je me trouve actuellement, il existe de magnifiques supermarchés avec des rayonnages à ne pas pâlir d’une comparaison avec un supermarché en Europe. Mais ils sont vides de clients, entourés de grilles et d’agents de sécurité, et seules quelques personnes s’y rendent effectivement. Pas d’effet de mondialisation de masse ici.

D’un autre côté, l’inclusion financière appelée de tous via le téléphone mobile se heurte à une restriction de taille – commune à tous les pays du continent africain : l’accessibilité.
– Toutes celles et ceux qui n’ont pas de compte bancaire n’ont pas nécessairement de téléphone mobile et d’accès à un réseau de téléphonie mobile là où ils habitent.
– L’accès à l’information et la formation pour comprendre quels sont les avantages et comment bien utiliser ces nouveaux services digitaux. Ne prenons pas les individus pour des idiots. Quand il s’agit d’argent – et en particulier pour les personnes qui mesurent leurs ressources au jour le jour – une phase de transition est nécessaire pour que les individus testent, s’approprient, éprouvent, mesurent s’ils peuvent faire confiance à ce système qui rend inaccessible dans l’immédiat a priori leur argent (comparé aux billets) mais fait la promesse de sécurité.

Qui croît à toutes les promesses qu’on lui fait?

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