Du feu et de la fumée

Il y a quelques jours, Richard Valenti signalait un article relayant les propos de Jacques de Larosière, ancien Gouverneur de la BdF, DG du FMI et conseiller auprès du Président de BNPParibas.

« L’Allemagne est un pays industrialisé, la France un pays en voie de désindustrialisation. En vingt ans, le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB français est passé de 15 % à 10 %, tandis qu’il s’est maintenu à près de 25 % en Allemagne.

Or dans une crise pandémique, une économie industrialisée est plus résistante, elle s’appuie sur des clients fidèles et des technologies de pointe. Ce n’est pas le cas d’une économie de services, frappée par l’arrêt des relations de voisinage – que l’on pense, par exemple, à l’hôtellerie.

A force de se désindustrialiser, de se déspécialiser, de distribuer plutôt que de produire, on a accéléré la fragilisation de l’économie et du corps social. C’est le résultat de « quarante ans d’égarements économiques ».

J’ai commenté mon adhésion à cette analyse, la rattachant à « la question de la transformation et production locale versus le commerce de biens produits ailleurs. Et de la création versus l’échange. Du feu et de la fumée. »

Je m’explique.

Economies « post-industrielles »

Nous pouvons aisément constater à quel point nos économies dites « matures » ou « développées » ont migré d’une production de type primaire (l’agriculture), vers une production de type industriel, puis – plus récemment – vers une économie de services, et donc une « tertiarisation » du travail dans des économies « post-industrielles » (cf Daniel Bell).

L’économie post-industrielle est aussi qualifiée de « dématérialisée » ou « immatérielle », mais elle demeure réelle puisqu’elle continue de contribuer positivement au produit intérieur brut d’un pays, mais aussi par son fort impact sur l’environnement. On peut aisément concevoir qu’elle a toujours une dimension industrielle, puisqu’elle s’appuie sur des biens réels toujours produits (en masse) dans des usines, comme les ordinateurs qui la rendent possible. La différence est que cette production est concentrée dans certaines régions du monde – je fais ici référence à la Chine.

De la même façon, la production agricole (secteur primaire) s’est considérablement industrialisée en se mécanisant, en élargissant la taille des exploitations afin de générer des économies d’échelle. Mais l’on voit aujourd’hui – en particulier avec le Bio – émerger un « retour » à des exploitations de plus petite taille, avec un vocable réintroduisant la notion de « paysan » pour des exploitations à taille humaine, en permaculture.

Ainsi, les frontières qui ont été utiles pour expliquer l’évolution des économies avancées dans une perspective historiques – entre des secteurs primaire, industriel et des services – sont beaucoup plus floues si l’on essaie de comprendre la structure de nos économies aujourd’hui. Il semble plutôt que chaque secteur bénéficie des évolutions des autres secteurs.

Création de valeur

Le sujet qu’aborde Jacques de Larosière est celui de la capacité d’une économie ouverte à créer de la valeur – pas seulement la distribuer. Dans un modèle économique de base, il s’agit d’extraire la matière première, la transformer puis la vendre. Une économie peut-elle c réer de la valeur en délégant une partie de ce processus global à d’autres pays du globe?

L’extraction des matières premières (métaux, ressources énergétiques) inclues dans le processus de production industrielle n’est pas assurée sur le territoire européen depuis belle lurette. L’agriculture si, dans des proportions encore majoritaires il me semble.

Dans le secteur des services, celui de l’assistance aux autres personnes est bien sûr créateur de valeur.

Ce qu’il ne faut cependant pas omettre, c’est qu’il n’est pas nécessairement rémunéré par une création de valeur préalable immédiate, mais par la consommation d’un fonds constitué auparavant – les aides sociales, la retraite – par des cotisations collectives ou une épargne constituée.

Du feu et de la fumée

Ainsi, seule la consommation du bois qui a mis des centaines d’années à grandir permet de faire un feu, produire de la chaleur et de la fumée. Avec un stock important de bois, il pourrait être tentant de ne plus chercher à le renouveler pour les générations futures – ce qui demande un effort de préservation de l’existant mis en lumière par les effets du changement climatique – et de se complaire dans cette chaleur et la fumée. Mais aussi – en surfant sur ce stock – de se satisfaire d’un nivellement par le bas dans un monde qui ne veut pas prendre de décision pour ne pas prendre de risques. Une maladie de pays riche en quelque sorte.

Mais – la crise du Covid nous le rappelle opportunément – la vie est étroitement liée à la prise de risque, et les réserves, en s’épuisant progressivement, ne font que rendre encore plus prégnante l’urgence d’une vision pragmatique et concrète (le feu) et la sortie d’un monde qui s’agrippe à ses acquis (la fumée).

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