« Subprimes » : rappels historiques

L’innovation financière a permis la création ou le développement de nouveaux produits sophistiqués (titrisation, titrisation de titrisation, produits dérivés…) dont l’avantage reconnu était de répartir le risque entre un plus grand nombre d’agents et d’assurer une plus grande stabilité au système financier. Toutefois, les inconvénients d’une telle dispersion du risque, qui a conduit à une grande opacité des produits financiers, n’étaient pas correctement perçus, faute de recul historique et d’incitations adaptées en matière de contrôle de la qualité.

La régulation financière, quant à elle, présentait avant la crise d’importantes lacunes face au développement de l’activité des institutions de la « périphérie » et face aux évolutions du marché.

La crise des crédits hypothécaires américains dits « subprimes » s’est nourrie de ces évolutions.

Les ménages américains dont l’accès au crédit était jusque là très limité, parce qu’ils ne présentaient pas de garanties suffisantes en termes de revenu, d’emploi ou de patrimoine, se sont vu offrir à partir des années quatre-vingt dix la possibilité de contracter des emprunts immobiliers adaptés, voire des emprunts que tous savaient non remboursables sur la part du revenu disponible mais, du fait de la bulle immobilière, via une appréciation de la valeur de la maison. Les conditions de prêt étaient fixées en majorant les taux « ordinaires » par des primes de risque et des primes de « dossier » élevées. De surcroît, sur ce segment du marché, où les établissements bancaires sont mal implantés (quartiers pauvres, zones urbaines sinistrées, etc.), le démarchage des clients était souvent effectué par des courtiers qui travaillaient à la commission, contribuant encore à augmenter le coût des emprunts. Ils tablaient en effet sur l’incapacité de leurs clients à faire jouer la concurrence et à analyser le sens des montages complexes qui leur étaient proposés : pénalités de remboursement anticipé visant à les empêcher de refinancer leur hypothèque à des conditions plus avantageuses, taux ultra-attractifs pendant les premières années débouchant de facto sur un accroissement de leur dette (amortissements négatifs), taux « rapaces » accordés délibérément en vue d’une saisie à terme, etc.

Une partie non négligeable des crédits immobiliers accordés aux ménages (de l’ordre de 40%) était proposée par des courtiers opérant souvent pour le compte d’institutions non bancaires peu ou mal régulées.

Ces emprunts étaient gagés sur la valeur du logement apporté en garantie (crédit hypothécaire) et les risques pris par les prêteurs se sont accrus durant la période de hausse persistante des prix immobiliers. Les prêteurs ont même permis la souscription de nouveaux emprunts, gagés sur les plus-values latentes et utilisés notamment pour financer l’acquisition de biens durables.

Concomitamment, de la mi-2000 à 2003, la Fed a réduit ses taux directeurs de 6,5% à 1% afin de juguler la crise financière née de la bulle internet de 2000. Par la création massive de liquidités, la Fed tablait alors sur une relance par la consommation à crédit. L’endettement global des ménages a progressé à un rythme particulièrement rapide, de +10,6% l’an en moyenne entre 2000 et 2006. Leur endettement massif dans le secteur de l’immobilier, dont la valeur a doublé entre 2000 et2006, a par ailleurs dégagé un pouvoir d’achat supplémentaire formidable. Par exemple, six millions de ménages sont devenus propriétaires en empruntant 100% des fonds nécessaires, avant de continuer à solliciter des prêts sur la valeur majorée de leur bien…

Ces créances hypothécaires à risque ont été disséminées dans les bilans de nombreuses institutions financières par le mécanisme de la titrisation : des titres financiers ont été générés en assemblant des crédits immobiliers. Les produits titrisés ont été structurés et labellisés. Structurés en fonction de probabilités de défauts et donc « tranchés », et plus encore labellisés par des agences de rating qui avaient approuvé la méthode suivie, ce qui permettait une garantie par des assureurs spécialisés, dits « monoline ». Des produits notés comme sûrs, certes complexes, se distribuaient alors, assortis d’une rémunération plus élevée que leur note. Cette anomalie était, à l’époque, attribuée à la sophistication des opérateurs. Ce procédé d’assurance via des « monolines » a été créé au début des années quatre-vingt dix pour les municipalités américaines, et dévoyé pour les « subprimes », un système jugé solide pour les assureurs qui ne pensaient pas avoir à payer plus de sinistres qu’ils ne l’avaient fait auparavant.

Les banques n’achetaient et ne vendaient pas toujours elles-mêmes ces actifs mais passaient par des sociétés intermédiaires (« véhicules spéciaux »), ce qui leur permettait de ne pas faire figurer ces titres à leur bilan. Les banques ont ainsi transféré le risque de crédit à des entités dédiées, appelés « conduits », SIV (Special Investment Vehicules) ou Fonds communs de créances (Special Purpose Vehicules).

Ces pratiques ont donné l’impression erronée que le risque était sorti du système financier. L’expérience a montré que tel n’était pas le cas. Le risque avait été transféré du « cœur » vers la « périphérie », et les deux demeuraient très liés…

Transmission de la crise immobilière au domaine financier

L’expansion de ces crédits a pris au fil des ans un tour incontrôlé. Ainsi, le montant total de ces crédits « subprimes » a considérablement progressé, passant de 2,4 % à 13 % du total de l’encours de prêts immobiliers aux États-Unis entre 1998 et 2007 et même 40 % des nouveaux crédits souscrits en 2007 (source Réserve Fédérale).

Il n’est par conséquent pas surprenant que les crédits « subprimes » soient ceux par qui la crise s’est manifestée en premier. Les limites à l’endettement, le retournement du marché de l’immobilier (cf infra) et la hausse des taux directeurs, après des niveaux exceptionnellement bas du début des années 2000, ont fini par invalider les hypothèses sur lesquelles s’appuyait le développement des crédits « subprimes ».

Tout d’abord, l’endettement des ménages américains a atteint un niveau tel que la demande de logements n’a pu continuer à croître à un rythme aussi soutenu. Les prix de l’immobilier ont plafonné avant d’accuser, à partir du milieu de l’année 2006, la chute la plus notable depuis plus d’un siècle (cf. graphique 1), l’offre de logements étant nettement en excès (les stocks de logements neufs individuels, qui représentaient environ 4 mois de vente jusqu’en 2005, ont ensuite crû continûment jusqu’à 13 mois de vente fin 2008). Ce retournement des prix a rendu intenable la situation des ménages, d’autant plus que, dans de nombreux cas, les mensualités étaient croissantes au cours du temps. Dans le même temps,la Feda poursuivi la hausse de ses taux directeurs entamée en 2004, alourdissant les mensualités des prêts à taux variables.

Avec la hausse des taux d’intérêt et la baisse continue de la valeur des biens immobiliers, les défauts de paiement se sont multipliés parmi les prêts « subprime » puis « prime » puis « Alt-A », a priori moins risqués, surtout parmi ceux qui étaient à taux ajustables. Les défaillances des emprunteurs américains ont ainsi créé une baisse auto-entretenue des prix de l’immobilier : lorsque la dette d’un ménage américain est supérieure à la valeur de son bien immobilier, il a la possibilité d’annuler le remboursement de sa dette et de se faire saisir sa résidence, qui est alors mise en vente par le créancier. Ce mécanisme, en augmentant la quantité de biens immobiliers mis en vente, a entraîné à la baisse les prix de l’immobilier et accru le nombre de ménages arrêtant de rembourser leur dette, entretenant ainsi une spirale baissière. Et, comme les banques américaines ne peuvent prendre d’autre garantie que sur le bien qui fait l’objet du prêt, cette forte dévalorisation immobilière a entraîné des pertes d’exploitation pour l’établissement en contact direct avec le client et, par extension, les primes de risque, c’est-à-dire le supplément de rémunération demandé par les prêteurs pour couvrir le risque de défaut, ont augmenté sur les produits issus de la titrisation (des prêts « subprime » dans un premier temps), reflétant la révision à la hausse des probabilités de défaut et une moindre appétence pour le risque. Le manque de transparence, lié à la multiplication des intermédiaires entre le prêteur et l’emprunteur, a rapidement provoqué une crise de confiance généralisée : ne pouvant discriminer avec certitude entre les bons et les mauvais actifs, les agents économiques se sont détournés de classes entières d’actifs. Notamment, les titres adossés aux prêts immobiliers dont l’évaluation était jugée trop incertaine n’ont plus trouvé d’acheteur.

La comptabilisation des actifs à la valeur de marché (à l’exception de ceux explicitement acquis pour être conservés jusqu’à échéance) a contraint les banques détenant de tels actifs dans leurs portefeuilles à enregistrer immédiatement la chute de leur valeur[18]. Combinée au nécessaire rapatriement au bilan des actifs, ceci a amené les banques à passer dans leurs comptes des dépréciations d’actifs à partir de l’été 2007. Et, afin de rétablir les ratios prudentiels, les banques ont vendu une part de leurs actifs, tout en procédant à des augmentations de capital, accroissant ainsi l’offre de titres et entretenant la chute des marchés.

En imposant un niveau minimum de fonds propres aux banques et en exigeant ainsi une couverture accrue des actifs à risque, l’Accord de Bâle de 1988 (Bâle 1) a encouragé les banques à faire sortir leurs activités risquées de leur bilan. En d’autres termes, l’essor des véhicules d’investissements structurés (« structured investment vehicles » – SIV) et des conduits n’est pas tout à fait le fruit du hasard. Bâle II, que les autorités de contrôle bancaire internationales ont élaboré dans le but de remédier à certaines de ces carences, est entré en vigueur au début 2008 en Europe, mais n’est pas encore mis en œuvre aux Etats-Unis.

L’existence de ces intermédiaires était source d’opacité et d’incertitude et les besoins de refinancement, résultant notamment de l’activation des lignes de crédit que les banques avaient consenties aux différents véhicules de titrisation (SIV ou Fonds communs de créance), ont reporté les tensions sur le marché interbancaire, nécessitant l’intervention des banques centrales. En effet, un climat de défiance s’est installé entre les banques qui se sont notamment mises à refuser de s’échanger des liquidités à court terme entre elles sur le marché interbancaire. En témoignent notamment les écarts importants et persistants entre les taux directeurs et les taux d’intérêt interbancaires (Euribor et Libor) qui ont nourri la littérature du printemps et de l’été 2008.

La combinaison de ces sources de fragilité a été à l’origine d’un brusque changement de régime, qui a fait passer d’une période de liquidité abondante à une situation de pénurie apparente (Brack E., 2008).

Comme on le sait, la crise s’est ensuite répandue dans tous les compartiments bancaires et financiers, puis économiques (pour une description de la dynamique de la crise, voir de Larosière, 2009).

Article paru dans Banque Stratégie n°269 avril 2009.

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