Ce forum économique et bancaire était le premier rassemblement économique et bancaire de cette ampleur depuis 10 ans, et il a réuni environ 400 participants sur les deux journées qu’a duré l’évènement, avec une proportion importante de femmes. Le gouverneur de la banque centrale, Dr Abdel Basit Turki Saeed, a assisté à l’intégralité des débats sur les deux journées et est intervenu au fil de l’eau de façon assez interactive, prônant par exemple la création d’une association bancaire englobant tout le secteur, insistant sur la volonté des autorités de réformer la loi bancaire de 2004 (tout en semblant ne pas savoir par quel aspect appréhender le problème) ainsi que sur les questions de conformité.
Nous avons perçu qu’un évènement de ce type était très attendu par les irakiens. Le pays dispose d’une manne financière importante grâce à l’exploitation de ses réserves importantes d’hydrocarbures (dans le trio de tête au niveau mondial avec l’Iran et l’Arabie Saoudite), mais semble désemparé quant aux moyens de développer et diversifier l’économie du pays, et au rôle à jouer pour le secteur bancaire et financier dans ce cadre.
La communauté française avait été, à plusieurs reprises ces dernières années, sollicitée par les banquiers privés, les grandes banques publiques (Rafidain), ou le service économique de l’Ambassade à Paris pour apporter une aide concrète au développement et à la réforme du secteur bancaire irakien.
La demande est en fait double :
– une demande d’expertise pour aider à la réforme du secteur (régulé par la loi de 2004 qui faisait suite immédiatement à la fin du conflit armé en 2003, jugée aujourd’hui inappropriée au développement du secteur) ;
– une demande des banques elles-mêmes afin de nouer des relations de correspondant banking avec les banques françaises et européennes, et ce pour des questions commerciales voire « d’image » avant tout.
La perception de l’Europe, et de la France en particulier, par la communauté bancaire et financière irakienne est plutôt bonne, et l’on peut ressentir une volonté de se détourner des Etats-Unis qui sont extrêmement présents jusqu’ici.
Sur le premier point, les différents acteurs du secteur se renvoient la balle, entre les banques privées, les banques publiques et la banque centrale / le gouvernement, sur la question des responsabilités dans la situation actuelle.
Ici encore, la problématique est double :
– mettre en œuvre les normes internationales (exigences en fonds propres, gestion du risque, AML et lutte contre le financement du terrorisme, etc). A ce sujet, l’experte du Crédit libanais qui a fait une présentation sur la conformité a été très bien accueillie et a suscité de très nombreuses réactions ;
– faire en sorte que le secteur bancaire joue (à plein) son rôle dans le financement de l’économie. On est ici très loin du compte, où les banques, qu’elles soient publiques ou privées, sont sur-liquides, se focalisant sur le trade finance essentiellement, et une banque de détail très peu développée avec quasiment aucune activité de crédit (hormis les obligations d’Etat). Le pays compte un très grand nombre de banques, y compris étrangères (dont la plupart sont libanaises), mais ne dispose que d’une agence pour 40 000 habitants.
Dans le cadre de mon intervention lors du premier panel, j’ai exposé la bonne santé des banques françaises à l’issue de la crise, en m’appuyant sur les conclusions du FSAP du FMI. J’ai également insisté sur la nécessité, dans le cadre d’une réforme, de s’inspirer des bonnes pratiques issues des systèmes bancaires d’autres pays plutôt qu’une approche « one size fits all »(et de s’inspirer de la France en particulier plutôt que des Etats-Unis), mais que la situation ainsi que la culture étant également importantes : de ce point de vue, les pays arabes de la région devaient être considérés comme des sources d’inspiration privilégiées dans ce processus de réforme.
Au-delà des opportunités d’affaires et financières indéniables que recèle le pays, il ne faut pas omettre l’environnement instable qui demeure, et pose par exemple des difficultés non négligeables sur le développement d’un réseau de banque de détail (transport des espèces notamment), dans un pays où une quantité d’armes importante doit circuler.
J’ai été très bien accueillie, et été touchée par la gentillesse et la courtoisie des personnes que j’ai pu rencontrer. Cette vision n’est bien évidemment que très partielle, étant cantonnée la plupart du temps dans un espace sécurisé (et très privilégié).
La mise en œuvre des consignes de sécurité, notamment dans l’accès à l’aéroport et les fouilles successives aux trois (minimum) checkpoints – qui ont pu comporter un aspect humiliant pour certaines dames libanaises de notre délégation, j’y ai pour ma part échappé bénéficiant d’un traitement de faveur –, ne font pas oublier cependant les difficultés du pays, et l’environnement non stabilisé des affaires en général pour qui voudrait y profiter de la manne financière. Une visite rapide de la ville confirme que c’est bien l’eldorado des sociétés de sécurité, américaines, régionales ou locales.
Le secteur bancaire en Irak
Les banques commerciales sont aujourd’hui dominées par les publiques Rafidain et Rasheed, qui, combinées, contrôlent plus de 90% des actifs bancaires (52% pour Rafidain et 38% pour Rasheed) et plus de 75% du nombre de succursales des banques commerciales. Rafidain a des actifs équivalents à 1,03 milliard de dollars et l’équivalent de 12,7 millions de dollars de fonds propres. La banque détient aussi des quantités relativement importantes de devises étrangères pour le compte de l’État irakien. Elle dispose de deux cent cinquante succursales, dont soixante et onze sont à Bagdad et neuf à l’étranger – à Amman, Bahreïn, Beyrouth, Le Caire, Londres et Sanaá au Yémen, conformément à son objet. Devant la taille importante de son bilan, Rafidain a été fait l’objet d’une scission en deux établissements en 2008.
Rasheed dispose de l’équivalent de 750 millions de dollars d’actifs, et l’équivalent 8,4 millions de dollars de fonds propres. Elle a cent quarante succursales dont cinquante-deux à Bagdad, et aucune hors du pays. Les banques privées sont plutôt de petite taille, avec des actifs moyens de 11 millions de dollars et des fonds propres moyens de l’ordre de 800 000 dollars.
Les trois premières à s’établir en 1993 furent la Bagdad Bank, Islamic Iraki Bank for Investment and Development et Commercial Bank of Irak. Les actifs des banques privées varient entre 2,7 millions de dollars pour la plus petite – Warka Bank – et 35 millions de dollars pour la plus importante – Business Bank of Middle East.
Les banques privées ont un réseau de plus de cent succursales au total.
Le secteur compte :
7 banques publiques
18 banques privées domestiques
52 banques étrangères
11 banques islamiques